L'article original se trouve ici : https://blogs.mediapart.fr/eulche/blog/250118/caganers-et-valeurs-du-rugby-perpignan
Suite à des gestes déplacés ayant eu lieu à la fin du derby entre Perpignan et Béziers, le club de Perpignan a lancé une campagne de communication, que nous qualifierons de très maladroite, dans laquelle il appelle à dénoncer ses supporters, faisant fi des responsabilités partagées y compris par des joueurs biterrois; et faisant au passage un contresens dans son usage d'un symbole catalan.
Maintenant que le soufflet est retombé, il est temps de revenir sur la polémique déclenchée par l'initiative du club de rugby de Perpignan (l'USAP) d'appeler à la dénonciation sur les réseaux sociaux de ses supporters « qui souillent [sa] réputation ». Supporters que le club catalan nomme des « Caganerfans ». Cette initiative semble non seulement très dangereuse pour le vivre ensemble et l'image du club, mais elle est surtout très irrespectueuse, tant de ses supporters que des symboles catalans.
Disons le tout de suite: oui il y a des imbéciles qui viennent à Aimé Giral (le stade de rugby à XV de Perpignan) et qui se permettent, parfois, quelques abus. C'est le cas à Aimé Giral comme dans tous les stades de France, quoi que puissent dire les vierges effarouchées qui aiment à se gargariser l'égo sur les réseaux sociaux. Demandez donc aux supporters catalans qui ont été insultés tout le match à Béziers, pour prendre un exemple récent. Les fameuses « valeurs » sont au rugby ce que la morale est au catholicisme: constamment évoquées, souvent oubliées dans les actes. C'est particulièrement vrai dans les tribunes, même si on reste encore loin, pour le moment, de certaines extrémités vues dans d'autres sports.
Si avec le professionnalisme le rugby a pris le virage du sport-spectacle, attirant plus de monde en tribunes, les dérapages ne peuvent pas être uniquement mis au débit de notre époque, qui serait à mille lieux d'un âge d'or où les stades de rugby auraient été un monde de Bisounours. Ce temps n'a jamais existé. Non, au risque de vous décevoir, ce n'était pas mieux avant. Les anciens pourraient vous expliquer comment il fallait garer les véhicules dans le sens du départ lorsqu'on allait dans certains stades. Ou comment il fallait parfois éviter les coups de parapluie lorsqu'on officiait comme arbitre de touche. Ceci n'excuse pas certains comportements. Mais de tout temps on a su les gérer en éduquant et en sensibilisant, plutôt qu'en menaçant et en dénonçant. Voire même à en accepter certains, inéluctables.
Revenons à nos moutons et essayons de comprendre quelles sont les raisons qui rendent cette campagne irrespectueuse, voire même pathétique pour certains. Cela tient d'abord au détournement de ce qu'est le caganer dans la culture catalane, intimement lié à l'idée de dénonciation et au manque de considération envers les supporters.
Qu'est-ce qu'un caganer? Il s'agit, à l'origine, d'un santon posé dans la crèche en Catalogne et qui représente un homme, portant la barretine, en train de déféquer (caganer signifie chieur en Catalan). Cette image, au delà d'un humour daté, représente avant tout une VALEUR POSITIVE. En effet, le caganer représente à la fois la fertilité de la terre (symbole et vœu de prospérité et de chance) et l'irrévérence envers les puissants. Il a même eu une portée politique symbolique contre le franquisme, en étant présent dans les crèches avec cette barretine, alors interdite par le régime. Aujourd'hui il ne s'agit plus seulement d'appeler à une certaine humilité ou de défendre la culture catalane. De nombreuses personnalités sont représentées en caganer. Il s'agit souvent d'un hommage, tout en les descendant de leur piédestal et en cultivant l'irrévérence. Utiliser ce symbole de chance et d'irrévérence pour dénoncer des comportements considérés comme négatifs est donc un contresens complet qui a beaucoup choqué dans les travées d'Aimé Giral, et auprès de tous ceux qui connaissent un peu la culture catalane. C'est peut-être d'autant plus choquant cette année avec ce qui se passe en Catalogne Sud, où le caganer de C. Puigdemont a été la star des crèches.
De l'aveu même de Denis Navizet, Directeur Général du club, dans une interview accordée au journal local L'indépendant, ces mauvais comportements ne concerneraient qu'une vingtaine d'individus. Or plusieurs milliers de spectateurs sont présents à Aimé Giral à chaque match. Sans entrer dans les détails de ce qui s'est passé contre Béziers, cela donne l'impression que le club estime que ses supporters sont trop idiots pour se contrôler ou pour raisonner ceux qui vont trop loin, si une telle campagne est mise en place pour un si petit nombre de fautifs. Surtout, le club donne au travers de cette communication, qui a été reprise nationalement tant elle choque, l'impression que tous ses supporters sont des idiots et des excités. Ce qui ne fait que conforter dans leurs croyances ceux qui, déjà, critiquent les Catalans à longueur d'années. Beaucoup de supporters exprimaient vendredi dernier l'impression que l'USAP a plus écouté ceux qui dénigrent habituellement le club et ses supporters que ces derniers, qui se sentent déconsidérés.
Enfin, la forme a bien entendu fait jaser dans toute l'Ovalie, à juste raison. L'utilisation d'une pratique propre aux pouvoirs fascisants - la dénonciation - est, c'est un euphémisme, très mal vue. Sans vouloir atteindre le point Godwin, on a tous en tête les méfaits de ce genre de pratique, y compris les abus qui peuvent en découler. De plus, est-ce que quelqu'un, au sein du club, s'est posé la question de l'impact de cette campagne pour ceux qui seraient « pointés du doigt »? Quid de la personne dont l'image serait diffusée publiquement à mauvais escient? J'entends déjà le club se draper dans sa vertu et assurer que cela ne pourrait pas arriver. Aucun garde-fou absolument sûr n'existe. Cependant la publication de ces images pourraient avoir de très sérieuses conséquences pour ces personnes. On peut même aller plus loin et penser que ce genre de campagne, au lieu de créer du lien et de réunir les gens autour du club, créent surtout de la suspicion et de la méfiance entre supporters ne se connaissant pas, entrainant l'effet inverse de celui recherché et, de plus en plus, l'impossibilité d'une auto-régulation limitant les possibilités d'aller parler à quelqu'un qui dérape pour lui expliquer ce qui ne va pas dans son attitude...
Vous l'avez compris, il s'agit de la part de l'USAP d'une très grosse erreur de communication. Tout communicant sait que ce qui importe en termes de communication n'est pas ce que l'on dit, mais ce qui est compris. Or la perception de cette campagne, présente dans tous les articles qui en ont fait mention, est que l'USAP appelle à dénoncer ses supporters « caganers ». Ce qui donne une image déplorable du club, probablement à mille lieux de l'effet escompté, mais tellement prévisible. A reprendre les critiques diffusées sur les réseaux sociaux par des adversaires de l'USAP, le club a réussi à créer un effet Streisand qui impacte son image. Joli coup qui illustre une fois de plus l'amateurisme du club en termes de communication et sa méconnaissance, si ce n'est sa méfiance et son absence de maitrise du fonctionnement des réseaux sociaux.
Au delà de l'image du club en dehors des limites du département, l'impact est réel. Lors du premier match à domicile à la suite du lancement de cette campagne, le stade a sonné beaucoup plus creux que d'habitude. Le temps était pourtant relativement clément pour la saison. Sans vouloir en faire une généralité il est certain que des personnes n'ont pas voulu venir à cause de cette campagne négative organisée par le club.
Aux vues du bad buzz et des réactions qu'elle entraine, on peut légitimement se poser la question de la justification de cette campagne? Pourquoi ne pas plutôt s'en prendre à ceux qui ont déclenché ces réactions? Pourquoi ne pas plutôt tenter de sensibiliser les supporters lors des matchs suivants? Au travers d'une campagne de communication positive, par exemple? Et en utilisant les symboles catalans à bon escient, évidemment.
Il semble que l'USAP semble avoir pris, un peu tard, la mesure de son erreur. En fin de semaine dernière le club (qui ne répondait jamais aux interpellations sur les réseaux sociaux jusque là) s'est mis à répondre aux internautes qui critiquaient cette campagne, sur Twitter. Réponses qui ressemblaient à s'y méprendre à des éléments de langage typiques des communications de crise, insistant notamment sur le fait qu'il n'avaient pas mentionné le mot « dénonciation » dans leurs communications. Réponse ô combien ridicule, tant l'appel à « pointer du doigt » certains « agissements » et la promesse de « diffuser sur les réseaux sociaux les vidéos et photos » parle de lui même.
Mais Bernard Laporte et la FFR sont passés par là et ont vite repris la main sur la une des journaux, estimant probablement que la destruction du mythe des valeurs du rugby leur revenait de plein droit et ne pouvait être déléguée à un club de province de seconde division. L'USAP peut les remercier et en profiter pour oublier bien vite cette mauvais idée en ne la relançant surtout pas avant le prochain match à domicile.
Suite à des gestes déplacés ayant eu lieu à la fin du derby entre Perpignan et Béziers, le club de Perpignan a lancé une campagne de communication, que nous qualifierons de très maladroite, dans laquelle il appelle à dénoncer ses supporters, faisant fi des responsabilités partagées y compris par des joueurs biterrois; et faisant au passage un contresens dans son usage d'un symbole catalan.
Maintenant que le soufflet est retombé, il est temps de revenir sur la polémique déclenchée par l'initiative du club de rugby de Perpignan (l'USAP) d'appeler à la dénonciation sur les réseaux sociaux de ses supporters « qui souillent [sa] réputation ». Supporters que le club catalan nomme des « Caganerfans ». Cette initiative semble non seulement très dangereuse pour le vivre ensemble et l'image du club, mais elle est surtout très irrespectueuse, tant de ses supporters que des symboles catalans.
Disons le tout de suite: oui il y a des imbéciles qui viennent à Aimé Giral (le stade de rugby à XV de Perpignan) et qui se permettent, parfois, quelques abus. C'est le cas à Aimé Giral comme dans tous les stades de France, quoi que puissent dire les vierges effarouchées qui aiment à se gargariser l'égo sur les réseaux sociaux. Demandez donc aux supporters catalans qui ont été insultés tout le match à Béziers, pour prendre un exemple récent. Les fameuses « valeurs » sont au rugby ce que la morale est au catholicisme: constamment évoquées, souvent oubliées dans les actes. C'est particulièrement vrai dans les tribunes, même si on reste encore loin, pour le moment, de certaines extrémités vues dans d'autres sports.
Si avec le professionnalisme le rugby a pris le virage du sport-spectacle, attirant plus de monde en tribunes, les dérapages ne peuvent pas être uniquement mis au débit de notre époque, qui serait à mille lieux d'un âge d'or où les stades de rugby auraient été un monde de Bisounours. Ce temps n'a jamais existé. Non, au risque de vous décevoir, ce n'était pas mieux avant. Les anciens pourraient vous expliquer comment il fallait garer les véhicules dans le sens du départ lorsqu'on allait dans certains stades. Ou comment il fallait parfois éviter les coups de parapluie lorsqu'on officiait comme arbitre de touche. Ceci n'excuse pas certains comportements. Mais de tout temps on a su les gérer en éduquant et en sensibilisant, plutôt qu'en menaçant et en dénonçant. Voire même à en accepter certains, inéluctables.
Revenons à nos moutons et essayons de comprendre quelles sont les raisons qui rendent cette campagne irrespectueuse, voire même pathétique pour certains. Cela tient d'abord au détournement de ce qu'est le caganer dans la culture catalane, intimement lié à l'idée de dénonciation et au manque de considération envers les supporters.
Qu'est-ce qu'un caganer? Il s'agit, à l'origine, d'un santon posé dans la crèche en Catalogne et qui représente un homme, portant la barretine, en train de déféquer (caganer signifie chieur en Catalan). Cette image, au delà d'un humour daté, représente avant tout une VALEUR POSITIVE. En effet, le caganer représente à la fois la fertilité de la terre (symbole et vœu de prospérité et de chance) et l'irrévérence envers les puissants. Il a même eu une portée politique symbolique contre le franquisme, en étant présent dans les crèches avec cette barretine, alors interdite par le régime. Aujourd'hui il ne s'agit plus seulement d'appeler à une certaine humilité ou de défendre la culture catalane. De nombreuses personnalités sont représentées en caganer. Il s'agit souvent d'un hommage, tout en les descendant de leur piédestal et en cultivant l'irrévérence. Utiliser ce symbole de chance et d'irrévérence pour dénoncer des comportements considérés comme négatifs est donc un contresens complet qui a beaucoup choqué dans les travées d'Aimé Giral, et auprès de tous ceux qui connaissent un peu la culture catalane. C'est peut-être d'autant plus choquant cette année avec ce qui se passe en Catalogne Sud, où le caganer de C. Puigdemont a été la star des crèches.
De l'aveu même de Denis Navizet, Directeur Général du club, dans une interview accordée au journal local L'indépendant, ces mauvais comportements ne concerneraient qu'une vingtaine d'individus. Or plusieurs milliers de spectateurs sont présents à Aimé Giral à chaque match. Sans entrer dans les détails de ce qui s'est passé contre Béziers, cela donne l'impression que le club estime que ses supporters sont trop idiots pour se contrôler ou pour raisonner ceux qui vont trop loin, si une telle campagne est mise en place pour un si petit nombre de fautifs. Surtout, le club donne au travers de cette communication, qui a été reprise nationalement tant elle choque, l'impression que tous ses supporters sont des idiots et des excités. Ce qui ne fait que conforter dans leurs croyances ceux qui, déjà, critiquent les Catalans à longueur d'années. Beaucoup de supporters exprimaient vendredi dernier l'impression que l'USAP a plus écouté ceux qui dénigrent habituellement le club et ses supporters que ces derniers, qui se sentent déconsidérés.
Enfin, la forme a bien entendu fait jaser dans toute l'Ovalie, à juste raison. L'utilisation d'une pratique propre aux pouvoirs fascisants - la dénonciation - est, c'est un euphémisme, très mal vue. Sans vouloir atteindre le point Godwin, on a tous en tête les méfaits de ce genre de pratique, y compris les abus qui peuvent en découler. De plus, est-ce que quelqu'un, au sein du club, s'est posé la question de l'impact de cette campagne pour ceux qui seraient « pointés du doigt »? Quid de la personne dont l'image serait diffusée publiquement à mauvais escient? J'entends déjà le club se draper dans sa vertu et assurer que cela ne pourrait pas arriver. Aucun garde-fou absolument sûr n'existe. Cependant la publication de ces images pourraient avoir de très sérieuses conséquences pour ces personnes. On peut même aller plus loin et penser que ce genre de campagne, au lieu de créer du lien et de réunir les gens autour du club, créent surtout de la suspicion et de la méfiance entre supporters ne se connaissant pas, entrainant l'effet inverse de celui recherché et, de plus en plus, l'impossibilité d'une auto-régulation limitant les possibilités d'aller parler à quelqu'un qui dérape pour lui expliquer ce qui ne va pas dans son attitude...
Vous l'avez compris, il s'agit de la part de l'USAP d'une très grosse erreur de communication. Tout communicant sait que ce qui importe en termes de communication n'est pas ce que l'on dit, mais ce qui est compris. Or la perception de cette campagne, présente dans tous les articles qui en ont fait mention, est que l'USAP appelle à dénoncer ses supporters « caganers ». Ce qui donne une image déplorable du club, probablement à mille lieux de l'effet escompté, mais tellement prévisible. A reprendre les critiques diffusées sur les réseaux sociaux par des adversaires de l'USAP, le club a réussi à créer un effet Streisand qui impacte son image. Joli coup qui illustre une fois de plus l'amateurisme du club en termes de communication et sa méconnaissance, si ce n'est sa méfiance et son absence de maitrise du fonctionnement des réseaux sociaux.
Au delà de l'image du club en dehors des limites du département, l'impact est réel. Lors du premier match à domicile à la suite du lancement de cette campagne, le stade a sonné beaucoup plus creux que d'habitude. Le temps était pourtant relativement clément pour la saison. Sans vouloir en faire une généralité il est certain que des personnes n'ont pas voulu venir à cause de cette campagne négative organisée par le club.
Aux vues du bad buzz et des réactions qu'elle entraine, on peut légitimement se poser la question de la justification de cette campagne? Pourquoi ne pas plutôt s'en prendre à ceux qui ont déclenché ces réactions? Pourquoi ne pas plutôt tenter de sensibiliser les supporters lors des matchs suivants? Au travers d'une campagne de communication positive, par exemple? Et en utilisant les symboles catalans à bon escient, évidemment.
Il semble que l'USAP semble avoir pris, un peu tard, la mesure de son erreur. En fin de semaine dernière le club (qui ne répondait jamais aux interpellations sur les réseaux sociaux jusque là) s'est mis à répondre aux internautes qui critiquaient cette campagne, sur Twitter. Réponses qui ressemblaient à s'y méprendre à des éléments de langage typiques des communications de crise, insistant notamment sur le fait qu'il n'avaient pas mentionné le mot « dénonciation » dans leurs communications. Réponse ô combien ridicule, tant l'appel à « pointer du doigt » certains « agissements » et la promesse de « diffuser sur les réseaux sociaux les vidéos et photos » parle de lui même.
Mais Bernard Laporte et la FFR sont passés par là et ont vite repris la main sur la une des journaux, estimant probablement que la destruction du mythe des valeurs du rugby leur revenait de plein droit et ne pouvait être déléguée à un club de province de seconde division. L'USAP peut les remercier et en profiter pour oublier bien vite cette mauvais idée en ne la relançant surtout pas avant le prochain match à domicile.
